ANTHOLOGIE MACONNIQUE

Ouvrage collectif de la Loge Kleïo 593 sous la direction de Raphaël Aurillac

 

 

Préface Jack Lang*

 

 

 

 

Une école de l'indignation.

 

La franc-maçonnerie ne m’est pas étrangère bien que je n’en sois pas membre. Roger et Albert Lang, mon père et mon grand-père, furent tous deux maçons en Lorraine. Ma grand-mère maternelle, Berthe Bouchet, vénérable d'une loge, paya un lourd tribut à son engagement : arrêtée en 1943 à Nancy par la Gestapo pour faits de propagande et de résistance, déportée à Ravensbrück et gazée au printemps de 1945. Je leur rends hommage pour le bien qu’ils ont fait.

 

Par cette filiation, j’ai très tôt pressenti ou deviné l’alliance entre la maçonnerie et la cause de la Liberté. J’ai compris plus tard la vérité de cette intuition et cette anthologie, que je suis honoré de préfacer, en apporte la démonstration. 

 

Lorsqu’il s’est agi de lutter contre l’intolérance, l’absolutisme, l’injustice ou l’esclavage, lorsqu’il fut nécessaire de libérer les peuples d’Europe ou des deux Amériques et de les doter de constitutions et de lois si justes qu’elles les gouvernent encore, on y a souvent et peut être toujours découvert des maçons à l’ouvrage : ceux du Siècle des Lumières : la presque totalité du Monde des idées de l’époque; ceux des grandes Révolutions de France, d’Amérique, d’Italie ou d’ailleurs ; ceux qui ont obstinément tenté de détruire les préjugés de races, de religions, d’origines, de préférences ou de conditions ; ceux qui, comme Brossolette, le « soutier de la gloire » justement honoré il y a peu, sont morts pour avoir un jour ressenti, à la faveur de je ne sais quelle circonstance, parfois anodine mais qui fait basculer toute une vie, que, décidément, il n’est plus possible de détourner la tête.

 

La maçonnerie est peut être et avant tout, une école de l'indignation ; elle est sûrement aussi une école d'émancipation par la promotion de la culture, des libertés et du droit.

 

Avec les principaux rédacteurs de notre Code Civil elle contribua à l'avènement de ce que nous considérons aujourd'hui comme allant de soi : un État de droit.

 

J’ai aimé dans ce livre ce que décrit Littré comme une « conspiration de la tolérance »…

 

ou cette conviction de Voltaire « qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ».

 

Je fus ému lorsque Bernardin de Saint Pierre clôt par ce silence évocateur sa description des atrocités de l’esclavage : « Ma plume se lasse d'écrire ces horreurs, mes yeux sont fatigués de les voir, et mes oreilles de les entendre »…

 

ou par ces mots du père de la Turquie moderne : « Nos femmes ne sont-elles pas des êtres humains, doués de raison comme nous ? Qu'elles montrent leur face sans crainte, et que leurs yeux n'aient pas peur de regarder le monde ! Une nation avide de progrès ne saurait ignorer la moitié de son peuple »…

 

…que complète Louise Michel : « Le duel des sexes serait ridicule et odieux : il n’y a pas la Femme contre l’Homme ; il y a l’Humanité » ;

 

ou encore par la lettre de Ferry à ses instituteurs : « Parlez donc à l’enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge »

 

J’ai beaucoup ri aussi en relisant d’Holbach qui dans l’art du blasphème ne l’eût en rien cédé à « Charlie »

 

Et enfin, comme Lessing, je crois qu’il faut « souhaiter ardemment qu’il y ait dans chaque nation des hommes capables de s’élever au-dessus des préjugés de leur groupe et de déterminer exactement le moment où le patriotisme cesse d’être une vertu. » ; la difficile construction de l'Europe témoigne de l'impérieuse nécessité de tels tempéraments.

 

Un héritage pour demain.

 

Cette anthologie, première du genre à ma connaissance, est un ouvrage nécessaire parce qu'essentiel, et tout à la fois divertissant et passionnant. Il fourmille d'idées et de réflexions d'une portée universelle et d'une grande actualité.

 

J’ai apprécié que ses auteurs déclarent en préambule que « la franc-maçonnerie ne saurait être regardée comme propriétaire du génie de ses membres illustres ».

 

Mais la lecture de cet ensemble fait ressortir une incontestable unité entre des œuvres qui s’interpellent dans l’espace et le temps.

 

C’est en réalité une anthologie de penseurs tous animés par le respect de la dignité humaine et le projet de faire grandir l'Homme dans la lumière de la connaissance. C'est ainsi que la période des « Lumières » en marque une apogée : ce mouvement sans frontières, dont l'Encyclopédie fut le meilleur symbole, a combattu sans relâche l'ignorance et l’obscurantisme par la diffusion du savoir et la promotion de la tolérance.

 

Des philosophes et scientifiques, d'honnêtes femmes et hommes de tous pays correspondent et se reçoivent dans les Loges (telle « les Neufs Sœurs » à Paris), les Sociétés savantes (la Royal Society à Londres) ou encore les salons littéraires pénétrés d'idées novatrices et courageuses souvent forgées en maçonnerie.

 

Ils rejettent cette proposition selon laquelle Dieu ou toute forme de transcendance, dispenserait l'homme de la responsabilité de construire un monde meilleur, un monde plus juste.

 

Le rejet des dogmes, le retour à la nature et la recherche du bonheur, voici la matière de ce grand et beau livre, qui consigne un héritage indispensable pour comprendre le temps présent et s'engager dans la construction du monde de demain.

 

 

*Jack Lang est ancien ministre de la Culture et de l'Education Nationale et président de l'Institut du monde arabe.

 

Critiques de l'anthologie